Les Estiviens

Pour tous ceux qui prendraient en route l'histoire des Estiviens commencée au mois de juin et qui n'ont pas envie de fouiner sur mon blog je vous propose de lire toute l'histoire sur cette page. Vous ne pouvez laisser ici de commentaires mais n'hésitez pas à le faire sur un autre article :) 

Bonne lecture !

 

C'est ici, dans un isolement total, et méconnus du reste du monde, que vivait le peuple de l'Eté. Ils se dénommaient ainsi car leurs Anciens racontaient que les premiers d'entre eux étaient nés durant la nuit la plus courte de l'année, celle du solstice d'été.

Sur le plan physique cet isolement avait conduit à une étrangeté concernant leur système pilaire, les Estiviens (comme ils s'appellent eux-mêmes) n'ayant aucune pilosité si ce n'est sur le sommet de leur tête. Ce que nous autres humains appelons cheveux se trouvent dès lors démultipliés en une masse impressionnante qui fait ainsi la fierté de celui qui la porte. Des conventions en régissent cependant l'entretien , ainsi les hommes la laissent libre, simplement attachée pour ne pas entraver leurs déplacements. Les femmes accordent quant à elles beaucoup de temps et de travail à orner et à coiffer cette chevelure, érigeant la coiffure à un tel art que cela rendrait verts de jalousie les plus grands coiffeurs humains. Leur habillement est par contraste beaucoup plus simple, pour ne risquer de détourner l'attention de la chevelure. Les hommes sont ainsi vêtus d'une chemise et d'un pantalon, les femmes d'une longue robe. Tous portent une pèlerine qui sert à se couvrir pendant la nuit, la chevelure alors dénouée faisant alors office de matelas.Car les Estiviens, qui vivent dans un endroit dépourvu de tous prédateurs, dorment là même où le sommeil les prend et ne comprennent pas notre étrange manie de toujours dormir au même endroit. Cette habitude a pour conséquence l'absence de tout sol caillouteux dans la région et les Estiviens capables de réaliser les pelouse les plus moelleuses sont considérés par les autres d'éminentes personnalités. Vous en aurez donc aisément déduit qu'ils ne possèdent pas d'habitations : "A quoi serviraient des constructions qui finiraient par se lézarder et se ruiner ? Le seul toit qui nous abrite est le ciel, et il est intemporel." Il ne pleut jamais très longtemps chez les Estiviens et lorsque c'est parfois le cas, leur chevelure habilement disposée les empêche de se mouiller. Leurs hivers sont doux et la température ne descend jamais au-dessous d'une dizaine de degrés.Pas besoin non plus d'appareils sophistiqués comme les nôtres pour communiquer, leurs voix tonitruantes suffisent amplement à se faire entendre. Les informations importantes sont retranscrites dans le Bulletin, dictés à une compagnie de mainates d'élites spécialement formés à cet usage et diffusés ainsi à tous les Estiviens. Ne croyez cependant pas qu'ils ne savent ni lire ni écrire. Une plante inconnue ailleurs est trempée et étalée pour produire un papier d'excellente qualité. Les livres ainsi produits sont conservés dans des troncs d'arbres creux aménagés à cet usage, les arbres devenant ainsi les dépositaires du savoir estivien. Les Estiviens se prénomment d'après leur environnement dont ils se sentent partie intégrante. Les hommes portent ainsi des noms d'animaux tels écureuil ou épervier, les femmes portant davantage des noms de fleurs comme églantine ou bien de fruits comme fraise des bois ou bien sorbet aux poires pour les plus excentriques. 

 Ce peuple n'a peur de rien si ce n'est du monde extérieur dont ils ignorent tout à part quelques horribles légendes qui collaient la frousse aux plus impressionnables et provoquaient des frémissements même chez les plus courageux. Le monde situé au-delà des hautes chaînes de montagnes qui entourent de toutes parts l'Estivanie est considéré comme un lieu maudit de perdition, d'où il ne viendrait jamais rien que des choses épouvantables. De toute façon, les quelques Estiviens ayant eu des attirances pour l'exploration furent découragés par la hauteur des montagnes qui interdisait toutes récidives d'expéditions. Ce peuple, au contrepoint du nôtre, a donc fini par se persuader que le monde est comme une cuvette dont les montagnes marqueraient la limite.

 

De tout ce que je vous ai raconté auparavant, vous en aurez aisément déduit que les Estiviens ont des us et coutumes forts différents des nôtres. Ainsi, lorsqu'un Estivien veut séduire une Estivienne, il lui offre non pas des fleurs ou des chocolats, mais des bijoux pour cheveux. Plus ils seront originaux, plus ils seront appréciés. Plus tard, lors de leur cérémonie qui fait office de mariage, les futurs époux s'échangeront des bijoux à cheveux identiques en guise de symbole de leur amour. Lors de cette union, ils reçoivent également un livre vierge qu'ils remplissent soigneusement et progressivement de tous les évènements de leur vie. Une fois remplis, ces livres seront déposés au coeur d'un des arbres creux de la Forêt des Arbres-Gardiens, située au nord-ouest de la contrée. Les différents membres de la famille regroupant tous leurs livres au même endroit, il est aisé de s'y retrouver. Pour effectuer des recherches plus poussées, les Estiviens ont nommés des Estiviens-arboricoles chargés de tenir des registres du contenu des arbres. 

 

Je vous ai déjà évoqué la forêt des arbres-gardiens, sachez cependant qu'elle n'est pas le seul endroit remarquable de l'Estivanie.En effet, le sud du pays est occupé par la plaine des Astres où lorsque vient le long été, les Estiviens se rassemblent pour contempler ensemble les étoiles. Les Estiviens-astronomes sont là pour observer le ciel et expliquer aux contemplatifs les constellations à observer. Afin de voir le ciel de plus près, les Estiviens-astronomes montent dans l'Arbre-observatoire, un arbre immense qui possède un escalier aménagé afin de pouvoir accéder plus facilement au sommet. Cet arbre s'est adapté à sa fonction en développant des feuilles translucides qui servent de longue-vue aux astronomes. La plus célèbre des astronomes est Abricot qui a découvert par accident une constellation d'étoiles, baptisées respectivement Baricot, Tocriba, Cotbria et Briocat, des anagrammes de son nom.C'est également dans cette plaine que sont organisés les feux d'artifices célébrant le solstice d'été. Rien de bien affriolant dans le déroulement de ce spectacle, juste les explosions des graines d'arbre-à-poudre, savamment mises en scènes par les Estiviens-artificiers.Les Estiviens trouvent par ailleurs insensé de se servir de la poudre pour un autre usage que celui des feux d'artifice. Ils trouvent leur pays assez grand pour ne pas croiser les personnes qui leurs déplaisent. Et dans les rares cas où un acte violent serait perpétré (que se soit envers un autre Estivien, un animal ou un arbre), l'agresseur serait condamné à se retirer dans les hautes montagnes qui bordent l'Estivanie. Cela est considéré comme la punition ultime pour les Estiviens, qui font une allergie à la montagne, ne supportant l'idée de devoir s'abriter pour dormir. Ils s'abandonnent alors souvent au désespoir et lorsqu'ils sont autorisés à redescendre dans la plaine, la perspective de devoir retourner là-haut en cas de nouveau forfait leur ôte toute envie de recommencer.

 

Ecureuil est un jeune Estivien plein d'esprit. Ses nombreuses connaissances sur l'histoire Estivienne l'avait conduit à suivre la formation d'Estivien-arboricole et Ecureuil connaissait à présent la majeure partie des arbres-gardiens. Son caractère joyeux et charmeur, ses traits fins et sa chevelure châtain aux reflets roux avaient séduit plus d'une Estivienne, même si sa galanterie et sa modestie avait fait en sorte d'atténuer un brin ce penchant. Mais, à y regarder de plus près, on observait dans le regard de ce jeune un besoin mystérieux inassouvi...Ce besoin inconnu se fit finalement connaître alors qu'Ecureuil était en plein rangement de l'Arbre-gardien connu sous le nom de Demeter, situé dans un secteur peu usité par les Estiviens. Demeter abritait en effet les quelques témoignages plus ou moins farfelus sur le monde situé au-delà des Hautes Montagnes. Ecureuil fit par mégarde tomber un de ses livres qui, en tombant sur l'herbe verte de la forêt, s'ouvrit. Certains diront par la suite que cela n'était du qu'au hasard, d'autres que le destin estivien était en marche ce jour-là, mais Ecureuil, en voulant ramasser l'ouvrage, tomba par ce biais nez-à-nez avec un dessin sensé reproduire une partie de cet autre monde...Le dessin, orné de couleurs chatoyantes, figurait une plage de sable et une immense étendue d'eau en arrière-plan, peut paraître banal pour les habitants de notre monde, mais pour un Estivien ce monde était aussi éloigné de lui que la Lune peut l'être pour nous.Et c'est ainsi, piqué par la curiosité, qu'il commença à lire ce livre...

 

Ecureuil commença donc à feuilleter cet étrange bouquin. Sur la couverture blanche, il pouvait lire le mot "dictionnaire". Revenant à l'image qui avait tant attiré son attention, il vit que celle-ci représentait une "plage". Feuilletant l'ouvrage de bout en bout, il lut successivement les définitions de "bambochade" et de "borderline" qu'il ne comprit pas vraiment, se vit accroché au "bastinguage" de l'illustration représentant un bateau, et trouva que le terme "byzantin" convenait à merveille aux discussions incessantes de ses Maîtres Arboricoles, chacun traitant toujours l'opinion de son confrère de "balivernes". S'asseyant alors sur le banc naturel que formait une des branches de Demeter, il déclara à la cantonade d'un air bravache qu'il voulait en savoir davantage sur ces contrées barbares. Cette résolution nouvelle mit encore plus de beauté sur son visage qu'à l'accoutumée. Mais pour mettre à bien son projet, il lui fallait résoudre le problème du franchissement des hautes montagnes qui coupent tout accès au monde extérieur.

Car comme vous le savez déjà, les Estiviens ont en horreur la montagne et cette aversion est bien représentée par les noms des quatre chaînes qui entourent le pays : les Monts Colériques au Nord, les Monts Susceptibles au Sud, les Monts Pénibles à l'Est et les Monts Horribles à l'Ouest. Les seuls avantages que les Estiviens avaient trouvé à la présence de ces monstres glacés et blancs était qu'ils empêchaient l'intrusion d'ennemis potentiels, mais aussi qu'ils faisaient descendre de leurs flancs une multitude de cours d'eaux se rejoignant dans trois rivières principales : la Douce, la Belle et la Joyeuse. Toutes les trois se jettent dans une grande étendue d'eau située dans le centre du pays : le Lac Mielleux. C'est près de grand Lac, à l'orée de la forêt des Arbres-Gardiens, que se trouvent les bains d'eau thermale de Millias, permettant à tous les Estiviens qui s'y baignent de retrouver une peau de bébé ainsi qu'une chevelure de rêve. Les bains de Millias se trouvent dans une forêt de bambous, ce qui ajoute au caractère relaxant de l'ensemble. En proie à sa nouvelle résolution. Ecureuil décida d'y réfléchir dans ce sanctuaire dédié à la tranquillité...

 

Ecureuil voulait en effet prendre son temps pour réfléchir calmement à son projet. Quitter brusquement sa formation d'Arboricole c'était prendre le risque de mettre en colère ses Maîtres et cela il ne le voulait pas. En sortant de son bain qui lui avait mis les idées au clair, il décida de présenter son projet avec le plus de diplomatie possible. Du moins en partie. La première partie de son plan consistait en effet à lire et compiler toutes les informations disponibles sur le monde extérieur. Ce projet de synthèse ne pouvaient que ravir les Arboricoles, soucieux de faire fructifier le savoir contenu dans les Arbres-Gardiens. Les Maîtres consultés, acquiescèrent à cette idée et pour l'encourager dans ses recherches, qu'il devait effectuer évidemment en plus de sa formation, Ecureuil fut affecté de façon permanente dans le secteur où se trouve Demeter. Celui-ci, magnifique chêne, se trouvait même ragaillardi des attentions qu'Ecureuil lui portait quotidiennement. Les divers livres donnaient des informations sur ce monde inconnu bien éloignées des traditionnels contes destinés à effrayer les petits Estiviens. Ils décrivaient plutôt un monde immense et prospère, aux paysages magnifiques, aux nombreux habitants qui vivent regroupés dans d'immenses villes. Mais en juger par l'état des livres et l'archaïsme des termes utilisés ce monde-là était révolu depuis longtemps...

Toutes les informations des chroniques que lisait Ecureuil se mélangeait jusqu'à provoquer un charivari dans sa tête. Les notions de carnaval, de caravane et de caravelle faisaient chavirer son esprit.Etait-il possible qu'un tel monde existe ou ait pu exister ? Il réfléchissait à un moyen de franchir les montagnes pour s'en assurer. La nourriture nécessaire à son périple serait aisément disponible. Il pouvait ainsi emporter quelques carottes, qu'il ferait cuire  avec de la neige fondue dans une casserole, mais aussi cueillir quelques fruits de l'arbre-à-chocolat. Cet arbre produit des fruits ronds en chocolat dont le goût varie en fonction des saisons : noir en été, blanc en hiver, aux noisettes en automne et au lait au printemps. LesEstivienssont vous vous en doutez extrêmement friands de ces fruits. L'autre plat favori desEstiviensse rapproche de ce que nous nommonschili, fabriqué avec de la viande d'une variété locale de castor, vivants dans d'importants barrages situés sur les rivières évoquées plus tôt. En plus des indispensables haricots rouges, la toucheestivienneconsiste à ajouter un peu de camomille au plat, qui ne se sent pas au goût mais apaise les esprits.Ecureuil prévoya donc d'en emporter des réserves afin de calmer l'angoisse que lui inspirait les hauteurs montagnardes. L'ultime problème à son expédition restait celui du couchage. En effet, comment pourrait-il dormir à l'abri des températures glaciales sans se sentir en cage ? Il dessina un projet de tente en forme de cercle qui serait doté d'un tissu à la fois solide et isolant pour le protéger mais assez fin pour le permettre de voir le ciel. Pour le mettre en oeuvre, il se mit en route vers la forêt de bambous où oeuvraient les tisserands.
Les tisserands d'Estivanie étaient les plus talentueux de leur profession. Des fibres de diverses plantes et de la soie, ils parvenaient à fabriquer des tissus si beaux que le démon de la mode lui-même en aurait été jaloux. Les jeux de lumière qu'ils parvenaient à faire égalaient ceux des diamants. Cet art demandait de longues années d'apprentissage. pour parvenir à faire danser correctement les fuseaux. Mais cet art, même s'il était loin de tomber en déliquescence, avait tendance à décliner du fait même de sa perfection. C'est pourquoi la proposition inédite d'Ecureuil, loin de provoquer la moquerie ou bien le désespoir, dévora les tisserands du désir de réussir ce défi. Ecureuil avait senti ce besoin de nouveaux défis et il n'avait donc pas eu besoin de présenter de manière très diplomatique son projet afin d'éviter une diatribe à son encontre.
Confrontés à ce défi inédit, les tisserands allèrent prendre conseil auprès d'un sage qui vivait tel un druide dans la forêt. Ce n'était pas le désamour de la société estivienne qui l'avait conduit à s'isoler ainsi mais plutôt la quête du divin qui sommeille en chacun des êtres vivants. Son autel, composé de dalles de pierres, ne lui servait qu'à entreposer les offrandes destinées aux dieux. Fourmi, comme il était appelé par les autres Estiviens n'avait pas beaucoup de gourmandises dans la vie, si ce n'est celle d'apprécier une fois par semaine la daube que lui apportait sa cousine Eglantine...
Les plus anciens tisserands allèrent donc voir Fourmi et le trouvèrent au coeur de la forêt d'Eucalyptus assis sur une mousse verte émeraude. Tout dans ce lieu inspirait la sérénité et la tranquillité et les tisserands avaient la désagréable impression de ne pas se trouver à leur place dans un pareil endroit, tels des éléphants dans un magasin de porcelaine. Fourmi ne bougeait pas, si bien qu'ils le crurent évanoui mais lorsqu'il sentit leur présence, il les accueilla avec chaleur comme le font d'ordinaire les Estiviens lorsqu'ils revoient un ami de longue date. En sentant que Fourmi n'était nullement excédé par leur présence, les tisserands se rapprochèrent de lui. Fourmi les prit alors tour à tour dans ses bras, une étreinte courante chez les Estiviens pour prendre contact avec les visiteurs. A l'idée d'une telle proximité avec l'Estivien, certains tisserands se sentirent devenir rouges comme des écrevisses. Puis, tout en se servant d'une branche d'eucalyptus comme éventail, il écouta avec attention la requête des tisserands. Une étincelle dans son regard leur fit comprendre que leur demande éveillait beaucoup de curiosité en lui. Après les avoir écoutés avec beaucoup d'attention, il partit si rapidement qu'on aurait cru faire face à une apparition évanescente. Il était en fait parti consulter un arbre-gardien nommé Elégie, qui avait la particularité de conserver une couleur flamboyante même en pleine saison estivale. Fourmi se rappelait y avoir lu dans un ouvrage la recette d'un élixir...
Fourmi feuilleta avec une frénésie tout à fait inhabituelle le livre où se trouvait la recette de l'Elixir du Firmament. Cette recette fantasque peut sembler folies et fariboles à celui qui la contemple pour la première fois car elle est composée entre autres de poils d'un faon à l'époque des premiers frimas de l'hiver et de la crinière d'un petit fauve vivant dans le Sud de l'Estivanie : le fakir-tigré. Cet étrange animal tient son nom de la position dans laquelle il s'assied rappelant celle du fakir, être humain des mondes extérieurs à l'Estivanie dont les longs cheveux rappellent ceux des Estiviens. Des gravures illustrant d'anciens ouvrages semblables à ceux que consulte avec fascination Ecureuil montrent les fakirs assis sur des planches hérissées de clous. Le petit fakir tigré qui vit sur les cactus , s'assoit de même sur les piquants de la plante, se tenant ainsi à l'écart des prédateurs. L'animal serait donc difficile à approcher. Une fois réunis, tous ces ingrédients doivent être mis à mijoter à feu doux avec un fond de décoction de feuilles d'eucalyptus et de chêne. C'est cette recette que Fourmi rapporta à la foule des tisserands. Ceux-ci s'interrogèrent avec fièvre sur l'utilité d'un tel élixir et se mirent en cercle autour de Fourmi, à l'image d'une farandole curieuse...
Fourmi leur raconta alors d'une voix grave et solennelle une histoire venue des temps lointains où les Estiviensn'avaient pas une chevelure aussi longuequ'actuellement. Cependant, leur envie de dormir dehors en écoutant les grillons était déjà très forte et ils se mirent à gémir lorsqu'un hiver exceptionnellement rigoureux mit du givre sur leur chevelure et les obligea à s'abriter dans des endroits semblables à des garages. Cette solution grotesque avait eu un impact sur la populationestivienne, qui d'un naturel gourmand d'habitude, se mit à dépérir. Ils ne se laissaient plus aller à faire des galipettes sur l'herbe maintenant gelée et ne gambadaient plus dans la forêt des Arbres-Gardiens. Ils attendaient la fin de la mauvaise saison, guettant le soleil tel une gargouille attendant le visiteur de la cathédrale. C'est alors que lesEstiviens-chimistes entreprirent des recherches pour trouver un abri à la fois isolant et transparent et l'Elixir du Firmament naquit ainsi. Une seule goutte sur une matière quelconque la rendait aussi transparente que le verre. Les Estiviens  construisirent alors au galop de nouveaux abris et se sentirent dans de bien meilleures conditions pour attendre la fin de l'hiver, consommant leurs réserves de gallinacés et de galettes de farine de gland aromatisés aux clous de girofle. Tout le monde loua l'invention mais les chimistes n'en tirèrent aucune gloriole superflue, estimant qu'il était normal que leur travail profite à l'ensemble des Estiviens.
Après avoir entendu le récit de Fourmi, les tisserands firent éclater leur joie et entreprirent aussitôt de réfléchir à l'élaboration du gabarit de tissu nécessaire au projetd'Ecureuil. Le tissu traité à l'élixir devenant ainsi irrémédiablement transparent, ils élaborèrent aussi un système de crochets non transparents servant à fixer sur une grille de bois l'abri de notre futur explorateur. Puis ils remercièrent et prirent congé de Fourmi après que celui-ci leur ait fourni une copie de la recette de l'élixir et sur le chemin, ils réfléchirent à la fabrication de godillots assez isolants pour résister à la neige et aux froides températures montagnardes. Loin d'être de simples galimatias pour faire passer le temps sur le trajet, le projet de chaussures n'eut qu'à être expliqué aux autres pour que celui-ci soit mis en route dès leur retour.
Ecureuil en entendant le compte-rendu de leur visite, ne se tint plus de joie, et après les avoir grandement remerciés, il se mit en quête du fakir-tigré... 
Pour rejoindre le sud de l'Estivanie, il traversa tout d'abord la Mer Mielleuse dans une embarcation fort étrange. D'une apparence semblable à nos giraumons, cette variété de courge avait grandi et était devenu solide au point de pouvoir creuser une embarcation à l'intérieur. Un service de bateaux assurait ainsi régulièrement la traversée de la mer.Ecureuilavait ainsi embarqué sur La Mielleuse, un beau bateau rouge et or où les passagers étaient chargés de nourrir l'équipage en remontant régulièrement les filets remplis de gambit, un poisson noir et blanc particulièrement délicieux lorsqu'il est préparé au court-bouillon. On pêchait aussi legaramond, appelé ainsi du fait du motif figurant sur ses écailles qui rappelait des caractères d'écriture...
Entre deux séances de pêche, Ecureuil profita de son temps libre pour sympathiser avec les autres passagers. Parmi eux se trouvait une jeune Estivienne nommée Violette qui venait de terminer sa formation en herboristerie. Chez les Estiviens, qui sont rarement malades, se sont les herboristes qui sont chargés de prodiguer des soins. Violette se chargeait ainsi de soigner les Estiviens qui n'avaient pas le pied marin. Le mal de mer n'affectait heureusement pas Ecureuil , mais il fut ravi de pouvoir discuter avec Violette de son projet de voyage dans le sud puis au-delà des montagnes. Violette fut intriguée par ce jeune homme aux rêves bien étranges et se résolut de lui apporter son aide. Se rappelant alors de ce qui lui avaient enseigné les maîtres-herboristes, elle fabriqua à Ecureuil une variante du remède contre le mal de mer destiné à combattre le mal de l'altitude, et un remède pour garder la chaleur. Violette donna également à Ecureuil des fleurs de lys tigré car cette plante est le pêché mignon des fakirs-tigrés qui ne peuvent y résister et seraient donc bien plus facile à attraper. La jeune Estivienne devant se rendre également dans le sud jusqu'à la plaine des Astres où elle avait prévu de passer une partie de l'été pour s'y procurer des plantes difficiles à trouver plus au nord, Ecureuil lui proposa de faire la route ensemble. En effet, celui-ci devait également passer dans cette plaine...
Le hasard faisant bien les choses, Ecureuil et Violette débarquèrent ensemble sur la rive sud de la Mer Mielleuse. Sans hésiter, ils prirent le chemin qui menait à la plaine des Astres. Cet humble chemin était très agréable pour se balader tranquillement. Même au début de la saison estivale, la température était agréable. Au détour d'un bois, Violette et Ecureuil tombèrent sur un endroit propice à se laver. Ces lieux faussement sauvages sont en fait très commodes pour se laver et des cabines sont en harmonie avec l'environnement, se fondant totalement dans le paysage. Violette fut particulièrement ravie de pouvoir à nouveau laver ses longs cheveux qui étaient devenus hirsutes au contact de l'air marin.
Alors qu'ils se préparaient à se remettre en route, un étrange hurlement retentit dans toute la forêt. Les deux amis se demandèrent avec inquiétude ce qui pouvait bien hanter ces bois et pensèrent à quelques hypothèses mais il était indéniable que ce cri n'était ni humain ni celui d'un hérisson. Mais ni Violette ni Ecureuil n'avaient peu car ils savaient que l'Estivanie n'abritait pas d'animaux dangereux pour eux. Curieux, ils s'avancèrent donc prudemment pour ne pas effrayer l'animal et se trouvèrent nez à nez avec un bien étrange animal. Un petit cheval avait un plumage blanc si étincelant qu'il semblait entouré d'un halo de lumière. Mais il semblait si faible qu'on aurait pu le qualifier d'haridelle. Il fit encore une fois cet étrange cri qui tenait à la fois du hennissement et du gazouillement : "hache-hiiiche ! hache-hiiiche !". Ecureuil se rappela alors soudain le nom de cet animal : l'hongre-oie. Cette mystérieuse créature ne se rencontrait que très peu en Estivanie, car de nature hyémale, elle préférait passer l'été sur les hauteurs. Elle avait également la  particularité de pouvoir voler de manière stationnaire, tel un hélicoptère. La présence de l'hongre-oie dans ce lieu à cette période de l'année était anormale et Violette se demanda quelle hécatombe s'était déroulée peu avant leur arrivée. Les Estiviens considérent comme un honneur de pouvoir aider un animal blessé et cela aurait été une humiliation de ne pas pouvoir s'occuper de l'hongre-oie. Violette avait appris durant sa formation d'herboriste à soigner  les animaux et remit l'hongre-oie rapidement en pleine forme. Comme ce dernier était trop jeune pour rester seul, Ecureuil et Violette résolurent de l'emmener avec eux jusqu'à temps de lui trouver une famille d'adoption...
Une fois l'hongre-oie soigné et reposé, la petite troupe se remit rapidement en route. Chemin faisant, Violette et Ecureuil discutèrent pour apprendre à mieux se connaître. Ils parlèrent de leur passé, de leurs enfances heureuses, lui dans la forêt des Arbres-gardiens, elle dans la plaine des Astres. Ecureuil lui expliqua à quel point ce projet d'exploration des mondes extérieurs lui tenait à coeur. Il avait toujours senti au fond de lui qu'il était destiné à faire quelque chose de spécial, et l'idée de pouvoir un jour connaître ce qui se trouvait au-delà de l'Estivanie le mettait en joie. Violette, bien qu'elle aussi très curieuse de connaître davantage les mondes extérieurs, n'était pas autant passionnée de voyages qu'Ecureuil. Depuis sa plus tendre enfance, elle s'intéressait davantage à aider les autres du mieux qu'elle pouvait. C'est ainsi qu'elle avait résolu de faire une formation d'herboriste et maintenant elle essayait d'apporter son aide à Ecureuil. Dès qu'elle aurait complété sa trousse de plantes médicinales, elle pourrait s'ateler à un projet inédit pour un Estivien : trouver un remède qui guérirait de manière temporaire la peur de l'enfermement que connaissent tous les Estiviens sans pour autant diminuer l'activité physique et psychique, ou pire encore avoir un effet d'accoutumance. Elle n'en parla pas à Ecureuil, de crainte de ne pas pouvoir arriver à bout de son objectif, mais sa résolution était prise. Et l'hongre-oie, qui vit à certaines périodes dans les montagnes, allait sûrement pouvoir lui être d'une aide précieuse...
Au bout de quelques jours de voyage, Ecureuil, Violette et l'hongre-oie arrivèrent dans la plaine des Astres. Cela faisait quelques années qu'ils n'y étaient pas retournés et ils furent ébahis par sa grande taille. Mais leur étonnement fut plus grand encore lorsqu'ils virent de loin la masse impressionnante de l'Arbre-observatoire. Cet arbre, présent depuis des temps immémoriaux était si large qu'il fallait plus d'une heure pour en faire le tour et il était si haut qu'il était impossible de voir sa cîme, perdue dans les nuages. Loin de toute perturbation lumineuse, les astronomes pouvaient faire tranquillement leur travail.
Mais l'arbre-observatoire n'était pas seulement le domaine réservé des Astronomes. Il était également le lieu de vénération de la divinité la plus importante du panthéon estivien : Celle-qui-est-en-haut. C'est également ainsi que les Estivens nomment la masse lumineuse dans le ciel qui croît et diminue tous les mois, prenant parfois la forme d'un croissant.
Mis à part Celle-qui-est-en-haut, le panthéon estivien est foisonnant et multiforme. Leurs noms explicites le prouve : Celui-qui-fait-voyager, Celui-qui-aime le savoir, Celle-qui-crée-l'amour, Celui-qui-fait-la-pluie-et-le-beau-temps ou encore Celle-qui-fait-pousser-des-cheveux-vigoureux. Aucun culte n'est organisé, les Estiviens pensant que si nulle offense n'est faite aux divinités, elles n'ont aucune raison de s'en prendre à eux.
Au pied de l'arbre-observatoire se tenait le grand marché d'Eté où des Estiviens de toute la contrée venaient admirer toutes les trouvailles et toutes les marchandises imaginables. Violette avait préparé à cet effet quelques onguents pour la peau, notamment un aux fruits de la passion dont elle était particulièrement fière. Elle l'échangea contre une belle robe d'été aux manches bouffantes, qui loin d'être trop ostentatoire, mettait en valeur ses magnifiques cheveux auburn. Mais son ardoise grimpa quand elle s'acheta des bijoux pour cheveux, notamment un en forme d'orchidée dont le motif rappelait un azulejo.
En la voyant aussi apprêtée, Ecureuil fut presque au bord de l'asphyxie même si son attirance pour Violette était loin d'être une révélation. Mais s'imaginer lui faire la cour tenait de la folie à la veille d'un si périlleux voyage. Il verrait comment serait la situation à son retour. Pour l'instant, il mit un bouchon sur ce que ressentait son coeur et s'attela à apprivoiser l'hongre-oie. Ecureuil s'entraînait en effet  à accourir auprès de lui dès qu'il entonnait une ancienne ritournelle apprise dans son enfance. L'hongre-oie appréciait qu'Ecureuil s'occupe autant de lui, car il ne se sentait pas à sa place dans cette plaine au climat trop chaud à son goût. Ses chromosomes lui dictaient de gagner dès que possible les montagnes et de ne revenir dans la plaine que pour hiberner. Ecureuil s'était renseigné sur l'hongre-oie et il connaissait mieux à présent son mode de vie. Il savait que l'animal ne pourrait pas l'accompagner dans les contrées tropicales où se trouvait le fakir-tigré. Ecureuil se mit d'ailleurs à repenser à son expédition prochaine  : dans une boîte se trouvait le lys tigré destiné à éviter le combat avec l'étrange animal. D'autres réactions de Violette destinées à adoucir son voyage dans le Sud se trouvaient également dans cette boîte. Lors de son voyage, il avait vu Violette collecter quelques plantes qu'elle avait soigneusement mises dans le cartable où elle conservait son matériel d'herboristerie. Elle ne lui avait pas dit à quel usage précis elle destinait ces plantes mais il savait qu'elle faisait du mieux qu'elle pouvait pour l'aider dans sa quête.
Elle s'était d'ailleurs proposée de s'occuper du hongre-oie durant le voyage d'Ecureuil dans le Sud. Violette avait bien évidemment proposé de bon coeur de s'occuper de l'hongre-oie en l'absence d'Ecureuil. Il aurait été inenvisageable que l'hongre-oie accompagne Ecureuil et l'animal était encore trop jeune pour être autonome. Violette et Ecureuil s'étaient renseignés sur les itinéraires empruntés par les troupeaux d'hongres-oies durant leur migration hivernale et avaient prévu d'approcher leur protégé d'un troupeau sauvage à cette occasion. Un mystère subsistait cependant sur le crime à l'origine du malheur de l'hongre-oie. Après avoir interrogé nombre d'Estiviens-zoologues qui proposèrent leur aide pour s'occuper de l'animal, on leur indiqua un spécialiste des forêts qu'ils venaient de traverser. Ce spécialiste en zoologie, nommé Hérisson, avait beaucoup voyagé dans toute l'Estivanie pour étudier les étranges animaux qui peuplaient les lieux. Il leur donna vite la clef du mystère, les hongres-oies n'étaient pas les seuls animaux qui tenaient du mammifère et de l'oiseau. Il existait une autre espèce, qui bien que rare n'en restait pas moins redoutable pour les hongres-oies : le faucon-léonin. Ce redoutable rapace, apparenté aux mythiques griffons, n'était heureusement pas de très grande taille et ne s'attaquaient qu'aux petits hongres-oies dont la taille adulte ne dépassait pas celle des arbustes dont ils raffolaient. Le jeune hongre-oie avait donc eu de la chance de réchapper à une telle attaque. Hérisson a tenu cependant à rassurer Ecureuil et Violette en les informant que de telles attaques n'étaient pas si fréquentes, les hongres-oies et les faucons-léonins ne fréquentant habituellement pas les mêmes territoires.
Lorsqu'il apprit que c'était Violette qui avait soigné l'hongre-oie, Hérisson s'empressa de lui présenter son épouse Rose, qui était elle aussi herboriste. Elles s'entendirent immédiatement bien et s'échangèrent des recettes d'onguent et d'élixir pendant des heures. Rose et Hérisson discutèrent aussi avec Ecureuil. Hérisson le zoologue était vivement intéressé par les projets du jeune Estivien. Il n'avait jamais vu de fakir-tigré et offrit donc à Ecureuil de l'accompagner pour l'aider à se procurer les poils dont il avait besoin. Rose fit également une offre à Violette. Elle avait besoin d'une apprentie à qui léguer tout son savoir-faire et proposa aussi de l'aider dans ses recherches secrètes sur la survie en montagne. Il était également entendu qu'elle l'aiderait à élaborer l'élixir du Firmament et elle avait un cousin chimiste qui serait sûrement ravi de contribuer à ce projet. Violette et Ecureuil était très heureux de cette belle rencontre et soulagés, ils purent enfin contempler tranquillement le magnifique ciel étoilé de la plaine des Astres.
Même si Violette était heureuse d'avoir rencontré Rose, quelque chose dans son regard indiquait une certaine mélancolie. Elle savait qu'Ecureuil allait bientôt partir et même si cette information n'était pas nouvelle, le rapprochement progressif de l'échéance lui brisait le coeur. Le fameux charme d'Ecureuil avait opéré sur elle et elle avait bien vu qu'elle n'aurait pas besoin d'utiliser un philtre d'amour pour que le jeune Estivien ressente la même chose qu'elle. Ses soupçons lui avaient été confirmés par Rose cet après-midi même. Elle savait aussi qu'il était inutile de penser qu'il resterait auprès d'elle sans avoir accompli son voyage et résolu d'être patiente. Elle suivrait l'exemple de Rose qui était habituée aux pérégrinations de son zoologue de mari. Le fait de savoir qu'elle ne serait pas seule et qu'Ecureuil serait accompagné par un voyageur expérimenté lui mit du baume au coeur et elle s'endormit apaisée sur l'herbe moelleuse de la plaine des Astres. Il fallait bien se reposer car le lendemain il leur faudrait monter tout en haut de l'immense arbre-observatoire où Ecureuil avait réussi à obtenir une entrevue avec l'un des astronomes. Alors que l'aube se levait sur la plaine des Astres, Violette et Ecureuil se mirent en route vers l'arbre-observatoire. Lorsqu'ils arrivèrent au pied de l'arbre, ils essayèrent de faire une rapide estimation du temps qu'il faudrait pour accéder au sommet. Comme toute la matinée serait sans doute nécessaire pour réaliser l'ascension de cet arbre gigantesque, ils se mirent en route sans tarder.

A la base de l'arbre, ils rencontrèrent le sergent-major de l'arbre observatoire, qui était chargé d'accueillir les visiteurs. Car même si tout le monde pouvait accéder librement à l'arbre, les habitants de celui-ci descendaient rarement sur la terre ferme et vivaient le plus souvent en autarcie. En comparaison avec la communauté des astronomes, les autres Estiviens avaient l'air de simples vagabonds. Ils étaient cependant liés par une passion commune, celle de pouvoir contempler les étoiles une fois la nuit tombée. Pour pouvoir communiquer avec le monde d'en-bas, un escalier avait été aménagé tout le long de l'arbre et c'est cet escalier qu'empruntèrent nos deux amis.

Abricot avait reçu peu de temps auparavant la demande d'Ecureuil par une lettre qui lui avait été transmise au moyen d'un ingénieux système de paniers et de cordages qui permettaient de monter les lettres et le matériel jusqu'au sommet de l'arbre-observatoire. Elle avait répondu par une invitation à une entrevue et voici que le jeune Estivien se tenait à présent devant elle, accompagné d'une jeune Estivienne au regard vif et curieux. 

Alors qu'ils montaient, ils se distrayèrent en se racontant des charades. Mais le jeu cessa quand ils furent subjugués par la splendide vue du haut de l'arbre. Ils avaient de la chance car le ciel était dégagé ce jour-là et ils purent admirer le panorama. Une grande partie de l'Estivanie s'étendait sous leurs pieds et ils apercevaient même dans le lointain la Mer Mielleuse. Leur émerveillement s'accrut davantage quand ils entendirent une merveilleuse mélodie. Nulle partition estivienne ne pouvait produire pareille musique, c'était le bruit que le vent faisait en passant sur les feuilles translucides de l'arbre-observatoire. C'est au son de cette mélodie que Violette et Ecureuil accédèrent enfin à la plate-forme située au sommet. C'était là que les astronomes observaient les astres, prévoyant les dates de passage des comètes et celles des équinoxes. Pour cela, les astronomes utilisaient un long tube apparenté à une sarbacane, qui combiné aux feuilles translucides de l'arbre faisait une remarquable lunette astronomique. Mais Ecureuil n'était pas venu discuter astronomie et lorsqu'il rencontra enfin la célèbre astronome Abricot, la flamme qui brillait dans ses yeux montrait toute l'importance d'une telle rencontre pour le projet d'exploration d'Ecureuil...

Abricot avait reçu peu de temps auparavant la demande d'Ecureuil par une lettre qui lui avait été transmise au moyen d'un ingénieux système de paniers et de cordages qui permettaient de monter les lettres et le matériel jusqu'au sommet de l'arbre-observatoire. Elle avait répondu par une invitation à une entrevue et voici que le jeune Estivien se tenait à présent devant elle, accompagné d'une jeune Estivienne au regard vif et curieux. 

- " Je me demande si les sentiments que se portent ces deux-là sont vérifiés par leurs thèmes astrologiques respectifs, pensa-t-elle. Je les enverrai à Loup après notre entretien."

Loup était l'astrologue le plus réputé d'Estivanie et sa réputation était loin d'être surfaite car il ne se trompait jamais dans ses calculs et ses prédictions. Il n'était après tout que l'interprète de la volonté de Celle-qui-est-en-haut.

Abricot accueilla donc les deux visiteurs sur un ton qui se voulait chaleureux, mais qui trahissait une certaine tristesse qui n'échappa pas à Violette et Ecureuil.

- "Soyez les bienvenus au sommet de l'arbre-observatoire, lieu où tout les Estiviens devraient se rendre au moins une fois dans leur existence, dit Abricot.

- Nous vous remercions de votre accueil, la vue est vraiment à couper le souffle, dit Ecureuil, et voici Violette qui m'aide à réaliser mon projet d'exploration, en avez-vous lu les détails ?"

L'astronome prit alors un air triste.

- "Oui Ecureuil, j'ai bien compris que ton intention est de visiter les mondes extérieurs, et que tu voudrais trouver un passage dans les montagnes en les observant à l'aide de nos lunettes astronomiques. C'est une excellente idée mais je me dois cependant de t'avertir d'une information retrouvée à l'intérieur de notre bibliothèque. Toi qui est Estivien-arboricole tu pourras la déchiffrer aisément sur cet ancien manuscrit", lui dit Abricot en lui tendant un ouvrage à l'aspect défraichi.

L' arbre-observatoire était en effet le plus grand des Arbres-gardiens et son tronc immense abritait une bibliothèque dont on pouvait voir l'autre extrémité. Cette bibliothèque renfermait principalement des ouvrages d'astronomie mais également d'autres livres comme celui que s'apprétait à ouvrir Ecureuil d'une main tremblante. A la page indiquée il lut à haute-voix :

- " Alors que les hommes étaient forts nombreux et peuplait la Grande Terre de part en part, un grand maléfice arriva. De maléfiques sorciers avaient acquis une étrange magie sous prétexte de créer le jour après le coucher de Celui-qui-brille-là-haut. Mais cet immense pouvoir  finit par échapper à ses créateurs et la Mort-qui-rôde apparut. Elle était invisible mais tous ceux qu'elle approchait finissaient par mourir dans de grandes souffrances. Alors les hommes se mirent à la recherche d'un endroit où la Mort-qui-rôde ne pourrait plus les atteindre. Longtemps ils cherchèrent en vain mais le jour du solstice d'Eté, ils trouvèrent une contrée entourée de si hautes montagnes balayées par le vent que la Mort-qui-rôde elle-même ne pouvait les trouver. Ils appelèrent cet endroit l'Estivanie..."

 

 

Sous le choc, Ecureuil ne put en lire davantage, il était à deux doigts de tomber en pâmoison. Violette, aussi choquée que lui, gardait le silence. Seule Abricot gardait son calme. Ecureuil aurait voulu effacer de son esprit ce qu'il venait de lire, l'étrange calvaire qu'avait du affronter leurs ancêtres pour fonder leur pays. Tout prenait désormais un sens nouveau, notamment l'aversion des Estiviens pour les hauteurs, qui de peur bien précise envers la Mort-qui-rôde se trouvant de l'autre côté des montagnes, s'était transformée en angoisse imprécis. Le réflexe de survie était ainsi ancré chez les Estiviens et seul Ecureuil avait eu le courage (ou bien la folie) de passer outre. Plongé dans ses réflexions, il pria Celle-qui-est-en-haut de bien vouloir lui indiquer la conduite à suivre.

 

Abricot prit alors l'initiative de leur parler de l'astrologue Loup, et curieuse d'en savoir davantage sur la destinée de ces deux jeunes gens, elle les accompagna sur la plate-forme où il faisait ses calculs. Loup n'était pas un vulgaire astrologue qui dupe son client pour lui soutirer des choses, mais un Estivien qui avait uni les savoirs religieux et scientifiques en une synthèse redoutablement efficace. Lorsque Loup dévisagea ses visiteurs, son regard incandescent lui en avait déjà appris beaucoup sur eux, mais pour en savoir davantage, il devait en connaître leurs dates et lieux de naissance. Ces informations obtenues, sa plume commença à crisser sur le papier, à courir si vite qu'il en noircissait plusieurs feuilles en quelques instants. Durant sa réflexion, Loup ne parla qu'avec parcimonie, pour vérifier l'un ou l'autre point, et ses visiteurs comprirent qu'il aspirait au silence pour le moment.

 

Puis la plume s'arrêta de virevolter et Loup s'adressa à Violette :

- Mademoiselle, votre destinée se dessine sur plusieurs niveaux, à l'image des différentes peaux d'un oignon. Vous serez selon toute évidence une des plus grandes herboristes de notre temps, confectionnant crêmes et remèdes sans la moindre trace de salmonelles. Mais, votre constellation de naissance, la panthère, montre un autre aspect de vous bien plus complexe. Votre caractère passionné, accentué par vos sentiments pour ce jeune Estivien (Violette rougit brusquement), vous feront confectionner un remède pour supporter le froid et une solution pour braver la Mort-qui-rôde... 

  Voyant que Violette, Ecureuil et Abricot le regardait d'un air étonné, Loup fit un bref sourire, impertubable...

- Car Celle-qui-est-en-haut m'a donné des éléments pour mieux comprendre la Mort-qui-rôde. Sachez qu'elle n'était pas malfaisante à l'origine. Crée par Celle-qui-est-en-haut, elle ne faisait qu'un avec sa matière d'origine quand soudain les hommes voulurent la domestiquer, la dompter pour pouvoir canaliser et utiliser son énergie fulgurante. Mais pour cela il fallut la séparer de son unité d'origine. C'est ainsi que la Mort-qui-rôde, pleurant sans cesse l'Autre qui était elle autrefois, faisait tourner les immenses machines de la prison que les hommes avaient construit pour l'y enfermer. C'est ainsi que cet enfermement pervertit la Mort-qui-rôde et la mit si en colère qu'elle trouva un beau jour le moyen de s'échapper. Dès lors, elle n'eut de cesse de retrouver son unité perdue en voulant ne faire qu'un avec un autre être. Mais lorsqu'elle entrait dans un être, l'unité de celui-ci s'en retrouvait anéantie et il finissait par mourir. Ceux qui ne mouraient pas sur-le-champ transmettaient la Mort-qui-rôde à leur descendance. Mais tous finissaient par mourir. Pour que la Mort-qui-rôde cesse de hanter les Mondes Extérieurs, il faut lui donner ce qu'elle veut, c'est-à-dire la refondre dans sa matière d'origine. Ce sont nos ancêtres qui l'ont perverti ainsi c'est donc à nous de réparer les torts et d'apaiser sa souffrance. La nature a déjà beaucoup réunifiée de Mort-qui-rôde en la rendant à son origine mais c'est à nous de terminer le travail. C'est pourquoi Violette, tu as été désignée pour accomplir cette tâche difficile car tu es assez sensée pour résister à la tentation de s'approprier l'immense pouvoir que recèle la Mort-qui-rôde. Et c'est bien évidemment Ecureuil qui la mettra en oeuvre..."


Se tournant alors vers Ecureuil, Loup poursuivit :

- Votre thème astrologique montre que vous êtes né sous le signe de l'ysatis...

Devant l'air intrigué de son interlocuteur, Loup comprit qu'il lui fallait donner des explications supplémentaires.

- L'ysatis est un renard blanc vivant dans nos montagnes enneigées. Tout comme cette créature il est assez rare de naître sous ce signe car Celui-qui-brille-là-haut ne passe qu'une journée en sa compagnie avant de rejoindre la constellation voisine de l'iguane. Les gens nés durant cette journée ont la caractéristique assez originale de ne pas craindre la montagne autant que le reste de la population. C'est donc ainsi que vous pouvez mettre en oeuvre les travaux de Mademoiselle Violette, et lever l'épais nuage que la-Mort-qui-rôde a abattu sur les Mondes extérieurs. Mais pour mener à bout votre mission, il faudra vous munir de toute une panoplie d'équipements. Dès demain, Abricot ici présente braquera ses instruments d'optique sur les montagnes afin de découvrir quel passage pourrait être emprunté pour les franchir, et Hibou notre géographe vous préparera la carte qui vous guidera tout au long du trajet. Sur ces paroles, je vous quitte car je n'ai plus rien à vous apprendre de plus pour le moment. Et puisqu'il est inutile de redescendre maintenant de l'arbre pour y remonter demain dès l'aurore, vous êtes invités à manger et à dormir ici. D'ailleurs vous êtes venus le bon jour, car je sens d'ici que Bouton d'Or a préparé de délicieuses tartelettes !

Loup n'avait pas menti, les tartelettes étaient succulentes tout comme d'ailleurs le reste du repas. Mais tandis que tous songeaient alors à aller s'étendre sur les immenses feuilles de l'arbre qui la nuit se recroquevillaient pour prendre la forme d'un lit, ils furent témoins d'une étrange musique, belle à en donner des frissons. Violette et Ecureuil, constatant qu'ils étaient les seuls étonnés, demandèrent des explications. Bouton d'Or, qui en plus d'être une excellente cuisinière était une merveilleuse conteuse, prit l'initiative de les éclairer :

- Cette musique que vous entendez est le chant de l'orsec, qui retentit de manière cyclique lorsque Celle-qui-est-en-haut est ronde comme ce soir. L'orsec entame ces soirs-là son chant nuptial et dès demain vous pourrez observer des oeufs sur les plus hautes branches de l'arbre. Ceux-ci donneront naissance à de jeunes orsecs lorsque Celle-qui-est-en-haut se sera arrondie par trois fois. Les légendes racontent que le premier orsec fut autrefois l'amant de Celle-qui-est-en-haut, mais son caractère trop canaille finit par lasser la belle qui ne voulut plus de lui. Exilé alors sur le sol, il fut réduit à la taille d'une tirelire. Son intelligence et sa mémoire furent d'autant réduits au point que son désespoir est immense à chaque obturation de la déesse, croyant à la destruction définitive de son aimée. Mais comme vous pouvez l'entendre, les malheurs de l'orsec font la bonne fortune des mélomanes.

Alors chacun alla dormir, dénouant les rubans qui retenaient leurs longues chevelures et se laissant bercer par le si beau chant de l'orsec amoureux...


Le lendemain, tous se levèrent frais et dispos, prêts à faire les observations dont Ecureuil aurait besoin pour franchir les montagnes. Pour la première fois dans l'histoire de l'Estivanie, un Estivien allait chercher un passage vers les mondes extérieurs. Une fois que le soleil eut quitté la cîme des montagnes, Abricot braqua sa lunette vers celles-ci et observa attentivement les confins du pays. Ses observations durèrent de longues heures et pour ne pas la déranger, Violette et Ecureuil se distrayaient en contemplant la magnifique vue que l'on avait du haut de l'arbre. Ecureuil contemplait tout particulièrement le sud lointain où l'on voyait une immense masse jaune et verte, correspondant à l'habitat du fakir-figré. Soudain, Abricot leur dit qu'elle avait trouvé un itinéraire et permit à Ecureuil et Violette de regarder à leur tour dans la lunette astronomique. 

Oui, là-bas dans le sud-ouest, là où se rejoignent les Monts Susceptibles du Sud et les Monts Pénibles de l'Ouest, et où la Douce prend sa source, on pouvait voir très distinctement un passage vers les mondes extérieurs ! 

Ecureuil ne se tint plus de joie et remercia Abricot. Cette dernière reporta alors ses observations sur une carte du pays et Hibou se chargea ensuite de trouver un itinéraire pour qu'Ecureuil puisse accéder le plus aisément possible à ce col.

La première partie du voyage serait facile et consisterait à remonter le cours de la Douce jusqu'à qu'elle ne soit plus navigable. A partir de là, il faudrait commencer à gravir les Monts Pénibles en traversant une forêt d'immenses conifères , puis l'escalade débuterait véritablement avec l'arrivée des neiges éternelles. Pour commencer l'ascension au début de l'été, il lui faudrait donc partir une lune après l'équinoxe du printemps une fois que la Douce aurait calmé ses crues printanières. Et puisqu'on en était déjà à la moitié de l'été, Ecureuil devait se hâter de terminer tous ses préparatifs avant le printemps prochain. C'est donc d'un pas résolu que lui et Violette regagnèrent la terre ferme alors que la nuit tombait sur la plaine des Astres...


Ecureuil et Violette, revenus sur la terre ferme; retrouvèrent avec grand plaisir leurs amis Hérisson et Rose, ainsi que l'hongre-oie. Le traumatisme qu'avait vécu ce dernier semblait s'être dissipé avec le temps. En effet, il était tombé amoureux d'une jumoie qu'il ne quittait plus des yeux. Outre la jumoie, l'hongre-oie s'était fait de nouveaux amis, un caméléopard, un cerf volant ainsi qu'une ponette. Toute cette bande avait un aspect si disparate qu'il aurait fallu plus de quarante et un mots pour les décrire tous, mais cela ne l'empêchait pas d'être de très bonne humeur. Après avoir étreint une dernière fois l'hongre-oie, Violette et Ecureuil lui souhaitèrent bonne route avec ses nouveaux amis.

Soudain, Ecureuil se mit à éternuer dans un bruit qui rappelait celui d'un éléphant râleur. Surpris, il lui suffit de lever les yeux pour en comprendre la cause : telles des milliers de petits parachutistes, les graines de l'arbre-observatoire tombaient sur la plaine des Astres et leurs effluves piquaient le nez de ce pauvre Ecureuil. Fort heureusement, Violette avait sur elle un flacon à base de miel dont la fragrance fit que le nez d'Ecureuil arrêta bientôt de danser la java.

Et Violette arrêta de rire lorsqu'Ecureuil lui offrit une breloque pour orner ses cheveux...

Il n'y avait pas besoin d'encre pour sceller les promesses qu'ils se firent ce jour-là car les Estiviens ne sont pas amateurs de paperasses et pour eux la parole donnée a valeur d'éternité.

Mais il y avait tout de même des détails encore flous concernant le prochain départ d'Ecureuil et Hérisson pour la quête du fakir-tigré et Violette dut faire un saut dans les champs et les potagers situés en périphérie de la plaine des Astres. Rose devait en effet lui montrer quelques remèdes susceptibles d'aider les deux futurs explorateurs dans leur quête.

 

Rose avait donc prévu cet après-midi là d'initier Violette à ses meilleurs remèdes en préparant une dégustation de certains d'entre eux. Mais Violette n'avait manifestement pas besoin de remède contre la tristesse tellement elle irradiait de bonheur et respirait la joie de vivre. 

Il fallait cependant préparer le voyage d'Ecureuil et d'Hérisson, en partance pour les régions du Sud afin de recueillir les poils du fakir-tigré. Violette et Rose devaient procéder au déracinement de certaines plantes comme l'irrésistible zinzolin afin d'aider les deux aventuriers à apprivoiser le mystérieux fauve. Elles avaient ainsi pris la résolution de préparer une poudre de toile d'araignée afin d'ankyloser la bête et de la prendre au piège dans une boîte pliable telle un accordéon. Cette boîte venait justement d'être inventée par Renard, le cousin de Violette, qu'elle avait revu par hasard le matin même. Mais le fakir-tigré étant une espèce rare, il devait être seulement capturé le temps de collecter quelques poils, pour éviter de le traumatiser davantage. Hérisson le zoologue avait donc été partisan de mettre un coussin dans sa cage, mais aussi quelques piquants pour qu'il se sente comme chez lui. Rose et Violette avaient donc cueilli du zinzolin, du lys tigré, dont le fauve adorait se nourrir mais aussi de l'homonyme, qui avait pour caractéristique de faire ressembler celui qui en prenait à l'être qui était en face de lui. Ainsi le fakir-tigré prendrait les deux compères pour ses congénères. Quelques plantes supplémentaires furent cueillies pour qu'ils gardent la forme durant le voyage.

Mais l'éclat qui brillait dans les yeux de Violette et de Rose laissait entendre qu'il y avait autre chose de prévu pour le retour des deux Estiviens...

 

De préparatifs en préparatifs, l'été toucha bientôt à sa fin en Estivanie. La date du départ était proche pour Ecureuil et Hérisson mais ils avaient décidé de ne pas partir avant l'équinoxe afin de pouvoir participer à la Folle Danse qui marque la fin de l'été. Cette danse se déroule tous les ans dans la plaine des Astres et consiste en une suite de pas assez simples qui permettent à tout Estivien de participer, y compris les plus mauvais danseurs. La musique est assurée par les oiseaux qui toutes espèces confondues chantent à l'unisson ce jour-là.

Le jour de l'équinoxe, tous dansèrent en rythme et dans la joie. Cependant, malgré l'ambiance euphorique, Ecureuil et Violette étaient tristes de devoir se quitter même s'ils savaient que cette séparation n'était que de courte durée. Cet instant de tristesse passé, ils retournèrent s'amuser jusqu'au grand final de la danse accompagné par un immense feu d'artifice.

Soudain, alors que la célébration battait son plein, Violette sentit brusquement qu'elle était en train de trouver une solution à la-Mort-qui-rôde. Mais elle approfondirait cela avec Rose plus tard une fois que les deux aventuriers seraient partis traquer le fakir-tigré. 

Le lendemain à l'aube, alors qu'au premier jour de l'automne les feuilles des arbres se paraient de milles couleurs, Ecureuil et Hérisson partirent avec tout un équipement, bien déterminé à trouver le fakir-tigré...

 

Quittant la plaine des Astres en direction du sud de l'Estivanie, Ecureuil et Hérisson marchèrent de longues journées dans les grandes plaines agricoles qui continuaient celle des Astres. Ces riches plaines combinaient différentes fonctions, qui allaient de l'élevage extensif de vaches à la récolte de châtaignes. Afin de permettre aux voyageurs de les traverser en toute quiétude, des h

aies de platanes gardaient les marcheurs à l'ombre et une douce brise les raffraîchissaient. Les platanes étaient plantés depuis si longtemps qu'ils culminaient désormais à une hauteur vertigineuse et leurs frondaisons n'avaient rien à envier en démesure aux voûtes des plus grandes églises abbatiales. 

Nos deux aventuriers firent rapidement la route, ne s'arrêtant que pour cueillir de la nourriture afin de compléter leurs provisions de biscuits secs. Ils mangaient par exemple des guignes-au-lait, hybrides de cerises fourrées au yaourt. Ces fruits étaient si délicieux qu'ils s'en léchaient les doigts après chaque collation. 

C'est ainsi qu'ils arrivèrent sur les rives de la rivière Douce, considéré comme beaucoup d'Estiviens comme la porte d'un monde inconnu. En effet, le sud du pays était considéré comme bien trop chaud pour être habitable. Ecureuil, qui jusque-là avait peu voyagé se sentit rapidement désemparé par l'immensité du paysage. Les circonvolutions de la Douce se perdaient en effet entre les Monts Susceptibles du Sud et les Monts Pénibles de l'Ouest, formant un tryptique à la fois beau et menaçant. Mais Hérisson connaissait bien le pays et savait où il pouvait trouver quelqu'un pour traverser la rivière. Son ami Charançon était bateleur dans cet endroit depuis des lustres, sans que les années qui passaient ne masquent son entrain et son amour pour le métier. Hérisson avait toute confiance en son ami et savait que sa barque ne risquait nul dérapage sur une rivière qui malgré son nom, restait un brin capricieuse. Ecureuil était plus craintif malgré ses envies d'explorations, mais il savait qu'Hérisson avait une confiance totale en Charançon, ce qui est essentiel pour tenter une telle traversée. Les trois Estiviens mirent une matinée entière à traverser la Douce, car elle était très large, même si elle était loin d'atteindre la taille impressionnante qu'elle avait lorsqu'elle se jetait dans la Mer Mielleuse. Mais cette traversée se passa sans encombres et le bateau rejoignit bientôt l'embarcadère destinataire. La flore qui se trouvait sur l'autre rive était radicalement différente de celle qu'avait quitté Ecureuil et Hérisson. Des plantes creuses formaient d'immenses cheminées, "des plantes carnivores" informa Hérisson, et suite à cette remarque, Ecureuil n'était pas rassuré, ayant peur qu'une plante ou une créature inconnue ne vienne le suriner dans le dos. 

Mais ils avancèrent tant bien que mal dans ce qui ressemblait de plus en plus à une jungle et arrivèrent bientôt à la plaine de cactus où se cachait le fakir-tigré...

 

La forêt de cactus était éblouissante, verte comme le jade, le jour n'entrant que par les interstices des frondaisons crées par les cîmes des cactus. Car ces cactus-là étaient gigantesques, semblables aux séquoias géants dont on ne peut jamais vraiment voir le sommet. Devant une telle splendeur, à la belle et effrayante de par sa taille, Ecureuil laissa échapper un juron très courant chez les Estiviens étonnés : "Par la jupe à jacquard du Jusant !", le Jusant étant un des marchés d'étoffes et de vêtements les plus courus de l'Estivanie. Hérisson qui était déjà venu près de cette forêt, était évidemment moins surpris qu'Ecureuil et se contenta de jubiler intérieurement du fait que leur voyage se soit déroulé sans encombres. 

C'est donc d'humeur joyeuse que nos deux aventuriers firent les préparatifs de leur quête du fakir-tigré. Ils déplièrent le piège fabriqué spécialement par le cousin de Violette et sortirent les fleurs de lys tigré afin d'attirer le fauve. C'est ainsi équipés qu'ils pénétrèrent prudemment dans la forêt...

Tous les cactus se ressemblaient et nul chemin n'était tracé pour orienter les visiteurs. Alors, pour éviter de tourner en rond en ces lieux jusqu'à la semaine-des-quatre-jeudis, Hérisson laissa des jalons derrière eux afin de pouvoir rapidement trouver la sortie de ce dédale végétal. Pour cela, il entreprit de briser systématiquement le bout d'un piquant de tous les cactus qui se trouvaient à sa gauche. Les cactus géants avaient fort heureusement peu de piquants à leur base, et nos deux amis purent rapidement se frayer un chemin dans la forêt. 

Après quelques heures de marches, ils finirent par atteindre une clairière où ils purent enfin rendre justice à leurs pieds en leur accordant un peu de repos. Après avoir préparé leur dîner composé de juke-box, une plante poussant aux pieds des cactus et qui faisaient du bruit quand on la ramasse, ils jaspinèrent un peu pour savoir qui prendrait le premier tour de garde. En effet, le fakir-tigré était un animal nocturne, il fallait donc que l'un d'entre eux restent toujours éveillé au cas où l'un d'entre eux viendraient. Ecureuil étant le plus juvénile des deux, il prit le premier tour de veille. Malgré tout son courage et sa détermination, il ressentit un peu de jalousie lorsqu'il entendit qu'Hérisson s'était déjà endormi. Mais bientôt il fit taire ses jérémiades qui devenaient si peu compréhensibles qu'elles en viraient au janotisme et se concentra sur son environnement immédiat. L'attente lui sembla durer des heures, et alors qu'Ecureuil se réjouissait de pouvoir bientôt jouir d'un repos bien mérité, il entendit un claquement sec, indiquant que le piège venait de se refermer sur un fakir-tigré...

 

Était-ce bien un fakir-tigré ? Écureuil ne voulant pas céder trop rapidement à l'enthousiasme, il alla d'abord réveiller Hérisson avec douceur. Ils s'approchaient de la cage quand ils entendirent une voix agacée en sortir :

- Voulez-vous bien me sortir de là, bande de sauvages dont la bêtise est un gouffre aussi abyssal que celui qui se trouve au-delà des montagnes ?

Écureuil lui répondit : - Excusez-nous de nos méthodes peu polies je l'avoue, mais êtes-vous un fakir-tigré ? 

Un rugissement lui offrit la réponse qu'il attendait.

Hérisson s'excusa à son tour de la fraîcheur de leur accueil et dit au fakir-tigré qu'ils ne lui voulaient aucun mal, mais juste obtenir quelques points de sa si belle crinière dont ils avaient terriblement besoin.

Le fakir-tigré répondit : - Il fallait le dire tout de suite au lieu de m'enfermer ainsi ! Je suis justement en train de mettre mon poil d'hiver, je serais donc ravi de vous laisser tous les poils dont vous aurez besoin. Mais en échange, je voudrais bien le reste de votre réserve de lys-tigré, car j'ai faim et ces fleurs sont mon péché mignon.

Rassurés, Écureuil et Hérisson ouvrirent prudemment l'armature de la cage et vidèrent le sac contenant le reste des fleurs de lys-tigré sur le sol sablonneux de la forêt de Cactus. Avec méthode, le fakir-tigré sortit de l'endroit où il était enfermé. L'aube se levant, Hérisson et Écureuil purent enfin contempler l'étrange créature pour laquelle ils avaient fait tant de chemin. Elle tenait à la fois du tigre par ses rayures et du lion par sa crinière, mais faisait la taille d'un lynx. Le plus étrange était ses petites pattes, terminées par des doigts courts et très arrondis, lui permettant de grimper et de virevolter sur les imposants piquants des cactus géants. L'instant de surprise passé, Écureuil et Hérisson se présentèrent à leur nouvelle connaissance. Le fakir-tigré se présenta sous le nom d'Alfredi, quatrième vicomte de la province du nord de la forêt des Cactus. Hérisson et Écureuil furent honorés de rencontrer une créature avec tant de prestance. Alfredo les invita à voir sa demeure car il était ébahi par tant de richesses. En effet, chez les fakirs-tigrés, posséder des lys-tigrés est une luxe que peu peuvent se permettre. Le lys tigré possédait une grande amplitude de propriétés gustatives et médicinales, ces dernières étant obtenues après la cuisson des feuilles et des fleurs dans un four dévolu à cet usage. Écureuil et Hérisson ne résistèrent pas à la tentation de faire un détour pour voir le lieu d'habitation du fakir-tigré. 

Après une heure de marche, Alfredo leva la tête et montra aux visiteurs un point situé dans le cactus géant qui se dressait devant eux. A leur grande surprise, ils virent une ouverture dans le cactus et leurs yeux s'étant habitués, ils en observèrent bientôt plus d'une dizaine.

- Nous voici devant l'entrée de ma demeure, les cactus avoisinants sont également occupés par des fakirs-tigrés. C'est ici que nous nous mettons à l'abri du froid lors des longues nuits d'hiver et des prédateurs lorsque nous dormons. Maintenant, puisqu'il fait jour, tout le monde est en train de dormir, vous n'effraierez personne. Voici une poignée de poils de ma crinière, faites-en bon usage. Et si vous voulez revenir chargés de lys-tigrés vous serez toujours les bienvenus ici.

Et, avant même d'avoir pu faire une esquisse de remerciement, Écureuil et Hérisson virent Alfredo bondir sur les piquants de cactus pour bientôt disparaître dans une ouverture...

Leur mission accomplie, nos deux compères devaient à présent songer à leur retour. Ils avaient l'espoir de ne pas prendre de retard afin de pouvoir se rendre dans le nord de l'Estivanie pour donner aux tisserands cet ingrédient indispensable à la bonne réalisation du philtre qui rend le tissu translucide.

Ils sortirent donc bientôt de la forêt de Cactus et rien de dramatique ne se déroula sur le chemin qui leur sembla bien plus facile qu'à l'aller, surtout pour Écureuil, qui n'avait désormais plus besoin de se laisser guider entièrement par Hérisson, à l'image d'un aveugle par son chien. Mais alors que la plaine des Astres approchait, Écureuil avait en tête des idées plus proches de la romance car cela faisait quelques semaines qu'ils n'avaient pas pu voir Violette. Ils étaient cependant restés en contact par l'intermédiaire d'un Service de Mainates Sociables qui apprenaient des messages faisant au maximum 150 caractères et qu'ils allaient répéter au destinataire. Ce système coûtait cependant cher en nourriture pour oiseaux sur les longues distances. Mais c'était par ce biais qu'Hérisson avait pu apprendre de son épouse Rose que celle-ci attendait un heureux évènement... 

 

Mais en cette fin d'automne, le climat était un peu plus rude et un vent frid semblable au mistral soufflait durement sur nos deux aventuriers. Le désir de rentrer au plus vite fut donc un peu ralenti et ils tentèrent de se réchauffer un peu en buvant de la soupe-au-lait, fabriquée à partir de lait que leur avait donné une vache et d'herbes nourrissantes fournies par Rose et Violette. Après avoir dormi un peu, ils constatèrent que le vent était tombé et ils purent reprendre leur route. 

Et par un temps redevenu radieux, Écureuil et Hérisson retrouvèrent Violette et Rose. Cette dernière portait déjà des signes visibles de grossesse, ce qui ne l'empêcha pas de courir à la rencontre d'Hérisson. Violette, qui avait conservé une taille de gazelle, en fait de même pour Écureuil.

Passée la joie des retrouvailles, Rose et Hérisson allèrent voir comment se portait leur futur petit Estivien en se rendant à l'Arbre-photo. Cet arbre courant en Estivanie avait des feuilles très particulières qui permettaient d'y imprimer des portraits lorsqu'elles étaient exposées en pleine lumière. Les jeunes pousses étaient les plus puissantes et une feuille posée sur le ventre d'une Estivienne enceinte arrivait même à capturer l'empreinte du futur enfant. On se servait bien sûr aussi de cet arbre si un Estivien s'était cassé une jambe ou un bras, mais compte-tenu de la grande robustesse du peuple Estivien, les photographies des Estiviens actuels et en devenir constituaient la plupart de l'occupation de ces arbres. L'arbre-photo avait justement sorti une nouvelle feuille et la photo obtenue permit à Rose et Hérisson de penser que l'enfant serait UN Estivien. Le nom, selon la tradition lui serait donné en son quarantième jour de vie, il n'était donc pas encore temps d'y songer. Cependant, ils savaient déjà que Violette et Écureuil les appréciaient sincèrement au point de leur demander demander de devenir les parrain et marraine du futur petit. Ces deux derniers les remercièrent de cet honneur.

Après s'être reposé quelques jours, Écureuil dut reprendre la route pour donner les précieux poils de fakir-tigré aux tisserands afin que ces derniers puissent rendre translucide sa tente de montagne. Écureuil avait été prévenu par le biais d'un mainate que tout était déjà préparé et les autres ingrédients du philtre n'attendaient plus que lui. Il embarqua donc sans tarder dans un canot descendant la rivière Belle jusqu'à la Mer Mielleuse. Violette l'accompagnait cette fois-ci, et Rose en avait profité pour lui confier des graines à échanger avec sa cousine Églantine, elle-même cousine du sage Fourmi auquel Écureuil avait déjà eu indirectement affaire par l'intermédiaire des tisserands. Après avoir rempli toutes ces obligations, nos deux amoureux avaient prévu de chercher la chaleur d'hiver au moyen de bains chauds comme si on avait eu recours à une bouilloire pour chauffer l'eau.

Mais au bord de la rivière Belle, ils s'arrêtèrent d'abord voir les Piliers autocollants, une curiosité naturelle qui valait bien un détour. Ces piliers avaient deux particularités. La première d'entre elles leur avait valu l'ajout du qualificatif "autocollant", due au caractère collant de la matière des piliers. Cette étrange substance soudaient irrémédiablement aux piliers toute chose qui avait le malheur de les toucher. Certains de ces infortunés avaient pu être sauvés mais non sans défaillir de douleur. Cette particularité rendait bien évidemment toute analyse de la substance en question complètement impossible et le mystère demeurait donc entier. La deuxième particularité était sans doute issue de la première car tout ce qui avait adhéré à ces piliers faisait désormais partie d'eux, formant des sculptures étranges combinant anthropomorphisme et animalisme. Par une ironie de l'histoire estivienne, ce lieu de désolation était devenu celui où les amoureux devaient se rendre pour bénir leur nouvelle union, car il symbolisait l'union assouvie d'êtres différents qui n'en faisaient désormais qu'un seul...

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